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Le tapis à histoires

Entretien réalisé le 7 juillet
au Centre social /Maison pour tous Saint Mauront
Léo Lagrange Méditerranée
de la rue Félix Pyat
MARSEILLE

 

Filigranes a rendez-vous aujourd’hui au centre social Léo Lagrange, dans le 3e arrondissement de Marseille, rue Félix Pyat, à deux pas du métro National, pas très loin de l’autoroute qui surplombe le quartier où se juxtaposent maisons anciennes et immeubles plus récents, notamment le siège d’Orange. Dans la cour du centre, une zone a été réservée pour un jardin dont s’occupe Mohamed Barka, oasis de verdure au milieu du béton. Non loin du centre social, un jardin partagé éphémère, appartenant à la Soleam et dont la gestion a été confiée à la Maison Pour Tous St Mauront est entretenu amoureusement par une dizaine de familles du quartier.  En ce début de juillet, il y a des tomates, des courgettes, des aubergines, des haricots, les plants de courge occupent une place imposante. Il y a aussi des fleurs, des plantes aromatiques, et le jardin est équipé de sièges confortables. Mais il fait trop chaud pour rester au jardin et l’entretien se déroule au centre social avec Amande Le Blanc, la responsable du secteur familles du centre, Samia Azizi, conteuse et membre de l’association ACELEM, qui anime l’espace lecture du quartier, et trois personnes qui ont participé à l’aventure du tapis à histoires, Zineb, Sahada et Husna, d’origine maghrébine, comorienne et kenyane. Nana et Fatima, bénévoles responsables de l’atelier couture, n’ont pas pu être présentes.

Ce qui nous amène ici, c’est la création par un groupe de femmes de trois histoires autour de deux tapis brodés en relief représentant l’un l’intérieur d’une maison, l’autre un jardin potager. Nous avions déjà entendu parler de cette histoire lors d’une rencontre du réseau école animé par ATD Quart Monde et nous avons pensé que les lecteurs et lectrices de Filigranes auraient envie de découvrir ce beau projet. En effet la revue a toujours eu à cœur d’articuler la réflexion sur la création à ses enjeux sociaux. Le bureau où nous nous retrouvons est petit mais plein de trésors : au fur et à mesure de la discussion, les tapis et les marionnettes surgissent d’un grand sac, les textes sortent d’un tiroir, les robes et les sacs d’un placard. Et il y a aussi beaucoup de rires et de bonne humeur, qu’il faudra imaginer en lisant cette interview.

 

 

 

 

TOUT EST PARTI D’UN TAPIS…

Filigranes : Pouvez-vous nous dire comment est né le projet du tapis à histoires ?

Amande : Quand je suis arrivée au centre social en 2014 pour m’occuper du secteur familles, j’ai rencontré Samia qui avait une longue expérience de la lecture avec les enfants au sein d’espaces lecture. Ici l’espace lecture existe depuis 2012 et cherche à créer du lien autour de la lecture et de l’expression sous toutes ses formes. On a cherché ce qu’on pouvait faire en partenariat parce que le livre est très important dans les liens entre parents et enfants dès la prime enfance. Samia m’a parlé de l’outil « raconte tapis »

Samia : C’est une histoire qu’on raconte sur un tapis, les personnages sont en trois dimensions et ils évoluent au fil du tapis. Mais cet outil n’était utilisé que pour représenter un album existant, par exemple La Grenouille à la grande bouche. L’idée ça a été de s’approprier cet espace de narration à l’horizontale mais pour créer une histoire qui puisse être racontée par tous. On a réfléchi avec le groupe de l’atelier couture qui démarrait à ce moment-là et on a pensé que l’espace de la maison était l’espace idéal à partir duquel on pouvait raconter plein d’histoires qui parlent de soi, qui parlent de l’autre, universelles. On a commencé par construire une maison en tissu. Ce qui est intéressant lorsqu’on crée des objets comme ça, c’est que c’est à la fois un soutien et une source d’inspiration pour l’écriture. On est parties d’abord de l’objet et en fabriquant on a commencé à envisager des histoires. Je fais ça aussi avec les enfants, on fabrique un objet et après on raconte l’histoire de cette création, ça aide.

 

Filigranes : Ça a été facile de lancer ce projet ?

Amande : La première fois que j’ai parlé de ça, ça n’a pas fait l’unanimité, parler d’un tapis à histoires, ça n’évoque rien aux personnes, et quand on commence à expliquer, on se rend compte qu’on s’embourbe. C’était tellement nouveau et original que ça ne paraissait pas crédible. Heureusement il y a des femmes qui ont accepté l’idée et l’ont fait vivre.

 

Filigranes : Comment est née l’histoire ?

Samia : Au tout début on associait la création du tapis et des hypothèses sur les personnages : combien d’enfants ? que fait le papa ? quel est l’âge des enfants ? et puis on a dit « la maman elle est au foyer elle travaille pas… ah si ! elle travaille ! » Ce qui était intéressant aussi au niveau de la création même du tapis, c’est qu’il fallait chercher pour nos patrons comment on allait pouvoir représenter un lit, avec quels matériaux, on a fait des recherches sur Internet, on a essayé de trouver des astuces pour représenter.

 

INVENTER DES PERSONNAGES

 

Filigranes : Est-ce que quelqu’un notait les idées ?

Samia : Oui je notais sans noter, je notais dans ma tête !! (rires) Après il y a eu un gros moment d’écriture pour passer à des dialogues qui puissent être joués. La première étape, c’était la trame, le contexte : une maman qui a quatre enfants, qui est mère au foyer et qui fait tout, et qui  à un moment en a marre. C’est parti de l’idée que les mamans au foyer avaient elles aussi un rêve, une envie. On avait discuté sur ce qu’elles faisaient avant, ce qu’elles auraient eu envie de poursuivre comme activité si elles n’avaient pas eu la charge de la famille et il y en a une qui a dit « j’aurais aimé être couturière »,

Amande : Une autre disait aussi qu’elle déteste cuisiner, et que la cuisine c’est la pièce qu’elle aime le moins. Il y a eu plein d’échanges sur comment on vit les choses, comment on aimerait qu’elles soient.

Samia : On a construit avec toutes les idées qui se sont rejointes.

 

 

Filigranes : C’est intéressant, cette idée du rêve…

Samia : On a fait le constat « qu’est-ce qui me reste comme temps à moi, personnellement ?  presque plus rien ». Les enfants ne peuvent pas manger à la cantine parce que la maman ne travaille pas et rien que les allers retours ça prend beaucoup de temps, ça fractionne la journée, et du coup on se demande « qui je suis, moi, en dehors de mon rôle de femme qui s’occupe d’un foyer ? »

Zineb : Oui, on court toujours, on est toujours pressée.  Moi je n’étais pas là au début mais c’est aussi mon histoire, je m’y suis reconnue comme toutes les mamans.

Amande : Ce que j’ai vu aussi, c’est que ça permettait de parler de chacune, mais aussi d’en rire. On a beaucoup ri en jouant la maman qui s’énerve, en jouant le bébé, en prenant la grosse voix du papa. Il y a eu tout un travail, guidé par Samia, sur la façon de jouer son personnage, et on s’est aussi beaucoup interrogées sur nos caractéristiques physiques, psychiques : si je suis timide, est-ce que je vais plutôt jouer qqn de timide, comme moi, ou au contraire qqn d’exubérant, qui parle plus fort ?

 

Filigranes : Alors, comment avez-vous inventé les dialogues ?

Samia : On a travaillé chaque partie en se demandant : « ça, comment on peut se le dire ? la maman, qu’est-ce qu’elle dit ? comment les enfants répondent ? ». On a essayé de trouver des caractéristiques aux personnages, par exemple il y a un des garçons qui a une dizaine d’années, on a imaginé qu’il avait des difficultés à l’école mais qu’il adorait le foot et le matin quand il se réveille il veut mettre son short de foot.

Husna : La fille, l’adolescente, elle ne veut pas aider sa mère, elle tchatte avec ses amies sur Facebook, elle pense qu’à ça, et elle ne range pas trop sa chambre. Et elle râle parce que sa mère ne lui a pas lavé le pantalon bleu  qu’elle veut mettre.

Zineb : Et le garçon de douze ans, il est toujours sur la tablette, il ne dort pas…

Sahada : À l’école il est violent, il n’écoute pas, il se bagarre avec ses amis, il regarde trop de jeux violents.

 

 

ÉCRIRE ET IMPROVISER

 

Filigranes : Vous avez écrit les dialogues ?

Samia : Oui mais je voulais aussi mettre en avant qu’on ne devait pas s’accrocher à l’écrit, pour ne pas être coincé par rapport à la mémorisation, donc je voulais qu’on reste dans l’oralité, qu’on puisse s’approprier les grosses caractéristiques des personnages et qu’à partir de là on se sente libre de pouvoir broder à partir de cette trame et que le personnage puisse être modifié, pas dans le fond mais dans la forme, par chacune des participantes qui pouvait avoir à le jouer. Donc à chaque fois j’ai dit « on oublie l’écrit » et je prenais la poupée et je changeais des mots, des phrases, pour que personne ne soit gênée par la peur de buter sur les mots, pour être dans une forme d’improvisation.

Amande : Quand il y a des mots qui accrochent, c’est bien de pouvoir changer. Ce qui est intéressant aussi, c’est le travail sur la langue, les nuances, comment on va chercher un synonyme, une expression imagée en français qui corresponde à ce qui existe en arabe ou en comorien.

Zineb : Il y a eu la chanson à la fin…

Samia : Oui, à la fin on a fait une petite poésie qui valorisait le rôle de la maman – « qui est-ce qui me caresse ? qui me donne mon lait le matin ? c’est ma maman chérie » et on l’a traduite en arabe littéral, en dialectal, en comorien.

 

Filigranes : Comment fonctionne l’atelier ?

Amande : Il y a un noyau dur, régulier, et puis toute personne qui a envie de participer, même ponctuellement, peut venir ; c’est un endroit qui reste ouvert, il n’y a pas un nombre limité de places.

Samia : Ce sont des histoires extensibles aussi, on peut rajouter un personnage avec ce que les gens nouveaux apportent, ce n’est pas fermé.

 

Filigranes : Et les textes vous les gardez ?

Samia montre tous les textes.

Samia : Ce n’est pas très long, parce que c’est une trame sur laquelle on improvise. Tenez, là, il y a une introduction en comorien faite par Sahada.

Amande : Cette histoire nous a fait beaucoup rire aussi, on a pris beaucoup de plaisir à faire ça ensemble. Ce sont aussi des moments d’échange où on partage, où on apprend ensemble.

 

 Filigranes : C’est l’atelier couture qui a fait les personnages ?

Amande : Dans l’atelier couture il y avait à la fois les conteuses et d’autres personnes qui ont cousu. Par exemple pour l’histoire du jardin, beucoup de personnes ont fait des légumes et les ont remportés chez elles. C’est Nana, Fatima et Karima qui ont dessiné et fait les patrons. C’est là que j’ai vu que Karima avait un bon coup de crayon. La confection du tapis du jardin  nous a pris moins de temps que pour la maison, on s’est limitées à la création des légumes pour laisser du temps dans l’atelier à ce que chacune voulait faire pour elle, des sacs, des vêtements, des robes. Pour le tapis, j’ai demandé de l’aide à ma mère pour accélérer les choses.

Samia : La couture aussi c’est une compétence. Moi j’ai beaucoup appris en couture ! (rires)

 

« MA MAMAN, ELLE PEUT FAIRE »

 

Filigranes : Dès le début, vous aviez l’idée d’aller jouer les saynètes à l’extérieur ?

Samia : C’est important que des personnes qui ne sont pas très à l’aise avec l’écriture, avec le livre, des personnes lambda aillent dans un lieu public : cela valorise la place de la femme, ses capacités de création, d’imagination, et c’est ça qui est beau. Les enfants, dès qu’ils voient arriver les comédiennes, qu’ils reconnaissent des dames du quartier, ça leur fait un choc, c’est un instant magique, que je trouve très fort. Ils ont les yeux grands ouverts, parce que ce ne sont pas des artistes qui viennent, ce sont des mamans, et donc ça peut être aussi leur maman. Par exemple, les enfants avaient tendance à se moquer de l’accent d’une maman, eh bien faire entrer cette parole à l’école, que la maman soit entendue avec son accent, et aussi avec sa langue dans les petites chansons, ça permet aux enfants de poser un autre regard et sur leurs parents et sur les gens du quartier. Il y a une classe de primo-arrivants où un petit disait tout le temps « vous êtes des mamans, vous êtes des mamans, ma maman elle peut faire ».

Amande : En maternelle c’était criant, le respect qu’il y a eu. On sentait une sincérité dans l’écoute, les enfants étaient impressionnés que les mamans viennent raconter une histoire, et ils étaient très fiers. Ça a rapproché les familles et l’école. La première année, les enfants ont écrit une lettre de remerciement au groupe, qui les a remerciés ensuite de nous avoir invitées. On a touché du doigt des choses très importantes et ça nous a donné l’idée de faire un tapis école, représentant la cour de récréation, mais on n’a pas eu le temps.

 

 

 

Filigranes : Comment êtes-vous passées à la représentation ?

Samia : On a travaillé sur le tapis, sur l’histoire, mais après il fallait la faire vivre. Donc on a fait beaucoup d’exercices.

Sahada : On se demandait « mais qu’est-ce qu’elle veut nous faire faire, Samia ? »

Samia : On a travaillé sur le rythme, la diction, la modulation des phrases. Je vous ai fait crier, respirer, pour être aussi à l’aise avec la voix.

Zineb : On a travaillé la mémoire en liant un geste et un son.

Samia : Et après on a répété, répété, répété… Il fallait s’habituer au public, gérer son stress,  poser sa voix, faire appel à sa mémoire, à son inventivité, à sa réactivité : on se trompe, c’est pas grave, on rebondit, il y a la solidarité entre les comédiennes.

Amande : Il fallait apprendre à lâcher prise, se libérer du texte, perdre la tendance à corriger les autres quand elles ne disaient pas exactement les mêmes mots.

Samia : Je ne voulais pas qu’elles apprennent par cœur les textes, mais qu’elles improvisent à partir du travail ensemble.

 

Filigranes : Où ont eu lieu les premières représentations ?

Amande : À l’école maternelle, à l’occasion d’« Entrée livre », en septembre, une manifestation d’un collectif (Espace lecture, ATD Quart Monde, centre social)  pour redémarrer l’année. Ce n’était pas évident de faire ça tout de suite à la rentrée, en extérieur.

 

Filigranes : Combien de temps a-t-il fallu pour arriver du début du tapis à cette représentation ?

Amande : Une année, de septembre à septembre. Entretemps il y a des femmes qui sont parties, d’autres qui n’étaient pas disponibles ce jour-là, c’est pour ça qu’il faut travailler sur la capacité d’adaptation, pour pouvoir remplacer au pied levé. L’idée de Samia c’est que tout le monde puisse être capable de jouer tous les rôles. La deuxième année, on l’a fait dans le hall du théâtre Toursky. La première année c’était dehors, c’était sympa, des gens venaient voir, trouvaient ça bien, mais c’était dur de se faire entendre. Et puis le hall du Toursky c’est quelque chose ! Peut-être qu’un  jour ce sera sur la scène du théâtre ! (rires) Donc en 2014-2015 on a préparé « Maman fait grève », en 2015-2016 « La Tablette » et cette année, on est parties sur le jardin avec « Mattéo le poireau ».

 

Filigranes : Et à Toursky, quelle histoire avez-vous jouée ?

Amande : C’était « La Tablette », et c’était ouvert à tout le quartier, c’était une manifestation publique, avec un problème de bruit parce qu’il y avait tout le temps des gens qui entraient, sortaient. Mais il y a eu un bon échange avec le public.

Samia : On a réutilisé le tapis représentant la maison et les personnages, en en enlevant quelques-uns. On a centré l’histoire sur l’usage des écrans par les enfants.

  

AMORCER DES CHANGEMENTS

Filigranes :  Est-ce que c’était aussi l’occasion de chercher des solutions ensemble ?

Samia : Oui, tout à fait, parce qu’en discutant, on apprend, on se donne des idées : « moi je fais ça avec ma fille », « oui tu peux verrouiller l’accès à Internet ».

Amande : Ce dont je me rends compte c’est que ce sont déjà trois histoires bien chargées qui pourraient être encore exploitées, revues, rejouées différemment. Au début il n’y avait pas ce lien avec le public. Après on s’est dit qu’on pourrait s’en servir comme d’un tapis-forum (au sens du théâtre forum). On peut projeter une petite vidéo pour déclencher la parole, mettre le tapis, faire notre saynète puis dialoguer avec le public. On l’a un tout petit peu initié. Ce sont des prolongements qu’on peut envisager, qu’on a commencé à expérimenter et qu’on pourrait exploiter de manière plus structurée. Et c’est très intéressant. Les femmes font passer des messages à partir de choses qu’elles vivent à la maison et qui parlent à tout le monde, et en même temps elles instaurent un dialogue avec le public, avec les enfants, avec les enseignants aussi. Et après chacune peut se demander comment elle va gérer ça, comment elle va faire à son échelle, de retour à la maison, pour  ne pas rester bloquée dans des situations qui font que ça monte, ça monte, ça monte, et après ça explose.

Samia : Donc on va pouvoir l’appeler aussi le « tapis à paroles » (rires). Les mamans avaient demandé aux enfants après le spectacle « qu’est-ce que toi tu peux faire pour aider ta maman ? » et ils participaient.

Amande : Du coup si on allait jusqu’au théâtre forum, on pourrait dire à l’enfant « eh bien vas-y, prends la poupée et rejoue à ta façon ». Ça pourrait être chouette. On va continuer l’année prochaine !

 

Filigranes : Qu’est-ce que ça a changé pour vous de participer au tapis à histoires ?

Zineb : Au début on venait pour les cours de français, écrire et parler, et oralement on avait des difficultés,  mais avec le tapis, pour les dialogues, on parle ensemble, ça nous aide.  L’écriture ça va, on a les cours. Mais avec le tapis on est obligées de parler.

Sahada : Quand je suis ici c’est comme ma famille. Ça m’a aidée aussi à plus parler le français, dans la famille on ne parle que le comorien, ici, même si je ne parle pas bien, je peux parler français.

Husna : Je parle mieux,  même les enfants ils m’ont dit « maintenant tu parles français » !

 

Filigranes : Et dans vos familles, il y a des changements ?

Zineb : Des fois oui, surtout les petits, mais les grands disent « non c’est une histoire, c’est pas vrai ».

Husna : Il y avait un enfant qui faisait du bruit en haut, et j’ai dit « oh, Coco méchant – c’est l’ogre chez nous – il va monter », puis  j’ai changé de voix, et j’ai dit « c’est moi, Coco méchant », et les enfants se sont mis à pleurer !!! Et le grand je lui dis aussi qu’il doit s’habiller, aider sa mère…

Amande : Oui, vous partagez aussi à la maison ce que vous faites ici, et les enfants le prennent avec humour, c’est sympa.

 

NOUVELLE HISTOIRE, NOUVEAUX DEFIS

 

Filigranes : Est-ce que le processus de création était le même pour les trois histoires ?

Samia : Non, pour « Mattéo le poireau », on avait travaillé avec des scolaires autour de la thématique du jardin et pendant six mois les enfants d’un CP de l’école Révolution ont travaillé à l’écriture d’un texte.  C’était un atelier hebdomadaire et ils ont aussi dessiné les personnages. Pour déclencher l’envie d’écrire, pour personnifier un peu les fruits et légumes, je les ai décorés, je leur ai mis des yeux, une bouche. Et les enfants ont inventé l’histoire de Mattéo qui arrive et qui est tout seul, qui cherche des amis, mais l’histoire n’était pas dialoguée. C’était une trame. Avec les mamans  on a beaucoup travaillé sur les dialogues.

Amande : En tant qu’adultes on n’aurait peut-être pas osé se placer sur ce plan ludique, mais c’était bien d’entrer dans l’imaginaire des enfants… On a inventé une personnalité pour chaque légume et fruit. N’est-ce pas, Husna ?

Husna : Moi je suis Sandrine la clémentine, je suis moderne, j’aime rigoler avec les amies, trainer ensemble, j’adore la musique.

Samia : Et maintenant je pense à toi quand je vois la clémentine ! On a beaucoup travaillé sur « je me présente, qui je suis, est-ce que je veux mettre ça dans mon personnage ou pas ? » On avait le choix ou d’inventer quelque chose ou d’être proche de qui on était vraiment.

Zineb : Moi je suis André le navet, il est très sportif, il porte des médailles de karaté, il est ceinture noire, il est toujours pressé, il n’a pas le temps, il doit faire ses exercices.  Alors, mon plus jeune fils, après avoir vu le spectacle, il est arrivé à la maison et il a dit à son frère « Attention, maman, elle fait du karaté ! »

Sahada : Moi je suis Agathe la patate, elle est chanteuse, elle aime danser, elle chante le blues, elle aime les frites, elle est gentille. Ma copine Charlotte la carotte un jour a invité ses amies pour faire la fête et elle m’a oubliée. J’ai frappé à sa porte et j’ai dit « Pourquoi tu ne m’as pas invitée ? je suis ta voisine depuis longtemps. »

 

Filigranes : Et alors Charlotte qu’est-ce qu’elle dit ?

Sahada : Elle dit « c’est pas grave, entrez, je vais vous présenter mes amis », d’un coup il y a un monsieur qui arrive, avec une belle cravate. Charlotte l’a invitée, c’est Mattéo.

Samia sort les marionnettes du sac et poursuit : Toute la partie où Mattéo se prépare, et où il est très stressé parce qu’il ne connait personne, nous l’avons inventée. C’est Nana, la couturière, qui faisait Charlotte, il y avait aussi Juliette la courgette, Raymond le champignon, « tout rond, tout mignon ». Ça marche super bien avec les enfants. Quand on va dans une école, on leur laisse toujours après prendre les marionnettes et spontanément ils commencent à les faire parler. Mais on n’a pas pu présenter l’histoire aux enfants qui avaient écrit la trame parce que leur classe s’est dispersée.

 

Filigranes :  Vous avez mis des chansons dans plusieurs langues dans cette histoire ?

Samia : Oui, et pour l’UPE2A (Unité Pédagogique pour Elèves Allophones Arrivants) on a même fait une traduction simultanée en arabe, au moins pour les  préambules pour que les enfants qui comprennent mal le français puissent se raccrocher à quelque chose.

Filigranes : Vous la jouez derrière un rideau, cette histoire ?

Samia : Dans les autres histoires, le tapis est indispensable pour savoir dans quelle pièce ça se passe mais les personnages sont petits, pour « Mattéo le poireau », les personnages étaient assez grands. Du coup on s’est dit qu’on pourrait les manipuler derrière un paravent et on a improvisé avec un vieux paravent que j’avais. Cela a permis d’être plus détendues par rapport aux regards. On n’a pas à affronter les regards.

Amande : Mais ça demande une autre technique, il faut arriver à faire bouger les personnages, on ne se voit pas faire, mais on peut plus s’entraider.

Samia : Il faut que la manipulation ait du sens,  il faut réfléchir aux gestes, choisir très peu de gestes mais significatifs. On a travaillé ça aussi.

 

Filigranes : Où avez-vous présenté « Mattéo le poireau » ?

Amande : On l’a joué à la journée Le temps des familles de la fédération Léo Lagrange, à l’Olivier bleu dans le XIVe. Toutes les femmes du groupe sont venues jusque là bas. On ne connaissait pas les lieux, il fallait installer le matériel… Encore une aventure… Elles ont joué aussi devant une classe de primo-arrivants de Bellevue, ici au centre social, en lien avec la manifestation bisannuelle autour du jardin partagé. Dans le groupe il y avait aussi Balbino, quelqu’un qui fait du cirque au Vieux-Port, qui a suivi les cours de français, et qui a fait une démonstration de jonglage avec des oranges. Les personnages étaient là pour inviter le public à la fête, lui était là pour faire jongler les personnes, on avait mis un peu de musique et ça a fait venir d’autres personnes. On est allées aussi au jardin Spinelli, un autre jardin partagé, pour présenter la pièce. Puis certaines sont allées au théâtre Toursky voir une pièce sur Les vertus de la philosophie potagère, ce n’était pas facile à comprendre mais les médiatrices étaient venues dans le jardin, le groupe avait présenté le travail et elles, elles avaient présenté la pièce. Le tapis à histoires crée des liens, des passerelles.

Samia : On manque de temps pour aller partout, on a reçu beaucoup d’invitations. Si on fait une représentation, on est obligé d’arrêter ce qu’on fait ici. On pourrait penser à faire une tournée, travailler un texte à fond, puis bloquer une semaine et jouer tous les jours. Ce serait « les mamans partent en tournée » !!

Amande : Ce qu’on n’a pas eu le temps de faire, c’est de prêter le tapis à une école maternelle qui nous l’avait demandé pour le mettre à disposition des enfants et pour que les enseignants puissent observer comment eux, après avoir vu le spectacle, ils allaient imaginer leurs petites histoires avec les personnages.

 

 

 

SE RAPPELER CE QU’ON NOUS A TRANSMIS

 

Filigranes : Une question pour Husna, Sahada et Zineb
 Dans les pays d’où vous venez, est-ce qu’il y a cette tradition de
présenter des histoires ou c’était complètement nouveau ?
Vous aviez déjà vu des spectacles comme ça ?

Sahada : Il y a des contes, mais pas des marionnettes.

Zineb : Avant, c’était les grands-mères qui racontaient les histoires, de longues histoires. La grand-mère commençait un soir, l’enfant s’endormait, et elle continuait le lendemain et les jours suivants. Maintenant c’est un peu oublié.

 

Filigranes : Et vous, vous racontez des histoires à vos enfants ?   

Zineb : Oui mais c’est des livres comme Blanche-Neige. On lit un livre différent chaque soir. Je me souviens des  histoires de ma grand-mère, mais j’ai oublié les mots. Je n’ai plus que le résumé, la trame.

Amande : Mais c’est comme nous, à partir du résumé, tu peux raconter à ta manière, et c’est ça qui est beau dans un conte, on peut faire entrer un personnage qui n’était pas écrit, on a  la liberté de changer des choses comme on le sent, et comme on se sent le jour où on va raconter.

 

Filigranes : Et toi Sahada, tu racontes des histoires à tes enfants ?

Sahada : Ma fille elle est aux Comores.

Amande : Mais Sahada elle s’occupe de plein d’enfants ici qui l’appellent « maman ».

Sahada : Quand un enfant me demande une histoire, je prends un livre, et je raconte autre chose.

Amande : Et voilà, toi aussi tu inventes !

Zineb : Parfois je commence en disant « il y avait un petit garçon qui ne voulait pas dormir, mais il était fatigué», et mon fils me dit « il me ressemble », et je dis « non c’est pas toi ! «  (rires)

 

Filigranes : Et vous avez des projets pour l’année prochaine ?

Samia : Les trois histoires peuvent toujours vivre, continuer, mais on avait envie de partir sur les comptines, les contes, les chansons, et les représenter, imaginer plastiquement l’univers des comptines. Essayer de se souvenir de ce qu’on nous racontait quand on était petit, l’univers de la petite enfance. Dans toutes les langues possibles, arabe, comorien, langues de l’Est de l’Europe, albanais, roumain…

Husna : il y a aussi le swahili.

Samia : Ce serait intéressant de faire une espèce de melting-pot. Moi j’ai déjà beaucoup travaillé sur les comptines, on s’aperçoit qu’elles sont souvent sur la même trame : pour apprendre à compter par exemple, la petite poule qui a pondu dans le jardin, mon père me la chantait en arabe.

Amande : Il faudra trouver des talents de musicien, musicienne, chanteuse.

Samia : C’est aussi une manière de revisiter son enfance, de se rappeler ce qu’on nous a transmis et qu’on a peut-être oublié. On va essayer de trouver des déclencheurs. On pourra partir de ce qui a déjà été collecté pour raviver la mémoire.

Amande : On a une collègue éducatrice de jeunes enfants qui a déjà fait un travail de collecte et d’enregistrement. Mais il faut continuer à faire vivre les histoires, les représenter ailleurs…

Zineb : Hors de Marseille aussi.

Amande : Oui on pourrait aller à Paris ! (rires)

 

L’action est née dans le cadre d’un appel à projets lancé chaque année
par CAF : « Lire, Ecrire, Grandir » et
porté par le RÉAPP (réseau d’appui à la parentalité).
Cela a permis l’achat de petit matériel
et de rémunérer Samia la conteuse.

 

Cet entretien a été réalisé par Teresa Assude et Michèle Monte.